• Nuit

    Objectif.

    Tout est une question d'objectifs.

    L'objectif c'est la barrière contre l'absurdité de l'existence, c'est le second souffle qui t'empêche de t'arrêter sur le bas côté en plein marathon de la vie, c'est le glaive comme le bouclier, en somme le "faux-instinct" qui te maintiens en vie, pour reprendre les dires de Cioran.

    On ne choisit pas, l'objectif. Aussi centrale sois la place qu'il occupe dans notre vie, longtemps, du moins pendant nos années formatrices, on ne choisit pas nos objectifs. on en est pas capable. Comment veux-tu déterminer ce que tu veux quand tu ne sais pas ce que tu es ? Pas d'essence, seulement une existence, donc pas de choix, l'objectif est subi, définit par des normes sociales, il ne nous appartiens pas.  Et tant mieux, tant mieux, en faite. Tu t'imagines toi ? 12 ans ? En pleine crise existentielle ? Ton corps n'est déjà plus une unité complète, tous les absolus sur lesquels tu t'étaient construits ne sont que des approximations de vérités, ou des mensonges, pire que le Père Noël, notre monde est pourris, tes parents sont humains, et en plus tu devrais donner du sens à ta vie ? 

    Non, trop lourd, trop compliqué, trop long à porter, on ne choisit pas l'objectif, on suit un schéma. "Allez, suit un schéma, pour être heureux sans trop se prendre la tête, pour vivre sans trop de douleurs, passe ton diplôme d'abord, grandis un peu et réfléchis après, tu verras quand tu seras grand.e" . Et une fois grand, une fois diplôme en poche, une fois majorité atteinte, indépendance volée et centimètres en plus conquis, on fait quoi maintenant ? Moi je sais pas quoi faire, j'ai jamais réellement su quoi faire. Il y a quoi après l'objectif ?

    C'est comme ça que je me retrouvais seule, dans un 12m2, chambre de bonne sous les toits d'un immeuble haussmanien, bac obtenu avec à peine un soupir de lassitude et sans aucune idée de ce que je foutais ici. Bien-sûr il y avait les études. Je les avais attendus ces études d'ailleurs. Parce que si on a pas à réfléchir à nos objectifs plus jeunes, on se projette, du moins je me projettes, je me projettais. Je m'imagineais diplômée de l'ENS ou chanteuse, Prix Nobel de littérature et révolutionnaire, mère au foyer, réalisatrice, Victor Hugo....

    Mais la dernière fois que j'ai vérifié une double-licence en philosophie et sciences politiques n'allaient pas m'aider à devenir un auteur politique du 19ème siècle. D'ailleurs cette double-licence n'allait pas me servir à grand chose, encore une fois je n'avais plus aucun objectif, et celui de réussir dans des études que je n'avais jamais vraiment voulu, si vouloir n'est pas fantasmé, n'en était clairement pas un. Pourtant j'étais à ma place, la promo était fantastique, les cours passionants, j'apprenais tout ce que j'avais envie de savoir, et on m'offrais toutes les opportunités pour en vouloir plus. Apprendre plus. Grandir plus. Etre plus ?

    Je ne voulais pas être plus.

    A me mettre bille en tête pendant 15 ans, pour être la meilleure, être à la hauteur des espoirs bienveillants de mes parents, mon comportement relevait du réflexe post-traumatique ; j'avais trop voulu "être plus", ne serait-ce que pour approcher d'un centimètre mes objectifs. Et maintenant que je me retrouvais dans la capacité d'agir, je ne voulais plus rien, la moi présente était à peine stable, comment voulez-vous construire plus haut sur un terrain bancale ?

    Si je n'avais pas d'objectifs, j'avançais indubitablement, la terre ne se mettait pas en pause le temps de mes introspections, alors le semestre défilait et mon état contemplatif s'empirait, je n'étais pas actrice de ma vie, tout au plus présente pour le visionnage. Je me dédoublais quelques temps, embrassant la flemme comme mode de vie.

    Parce que qu'est-ce c'est la flemme si ce n'est la peur d'échouer ? de réussir ? de déranger le statu quo ? En somme de vivre ?

    Car si je suis responsable de ma propre volonté (mise en action seulement dans le but d'atteindre un objectif), si il ne tient qu'à moi d'accomplir ce pour quoi j'occupe la Terre, c'es-à-dire être, vous imaginez un peu la peur qui me clou au lit et me pousse le soir dans d'autres draps ? Prendre le risque de vivre, de se fixer un objectif, c'est prendre le risque de courir le mauvais cheval, plus concrètement, d'échouer son humanité.  Pourtant est-ce trahir son être et donc échouer que de se complaire dans un tel mode de vie ? Est-ce satisfaisant ? Serais-je un jour satisfaite ? Parce que les objectifs atteints ne le sont pas, du moins avoir mon bac ne l'était pas. En restant dans mon lit je me protège de l'insatisfaction, je me schroëdingerise même : l'avenir peut aussi bien être satisfaisant que décevant tant qu'on ne fait rien pour agir dessus. Alors merci, mais non merci, mon canapé fera l'affaire, si je n'agis pas je ne suis pas responsable, problème résolu, passez-moi le guacamole.

    J'ai voulu épouser cette absurdité. Si la vie n'a pas de sens, refuser de se fixer des objectifs, vivre en pleine conscience des vanitas vanitatum équivalait à obtenir pleinement ma liberté, pour reprendre les réflexions de Camus. J'étais libre alors, libre de vivre sans raison, au jour le jour, de sortir toutes les nuits et de pendre mes bras à tous les cous. 

    Les nuits prennent vite un goût amer.

    Désolée pour le spoil si elles te semblaient être la solution, mais les nuits sont vides.

    Bien-sûr on s'amuse d'abord de porter un masque, de jouer en pleine conscience le théâtre sociale, d'ailleurs je ne crois pas qu'il fasse de mal à plus petite dose. Bien-sûr on s'amuse, mais en réalité on ne fait que repousser l'angoisse. Parce que si notre existence n'a pas de but, elle a des attentes, du moins l'essence qui découle de notre existence a des attentes. Il fallait donc satisfaire ces attentes, même si cela était synonyme de mettre un effort dans son être, c'est-à-dire ébranler quotidiennement des fondations qu'on s'est épuisé à fortifier. Après tout, continuer la nuit et les masques ne différaient pas tant de tomber servile devant le désespoir.

    Dans ce cas, peut-être que ce battre contre le désespoir que m'inspirait les vanitas, c'était accepter d'avoir un objectif. Non pas pour donner un sens à notre vie, mais pour l'objectif en lui-même, en somme art for the sake of art. 

    Faux-instinct me direz-vous, car tout est faux instinct une fois qu'on s'est aperçu de la vacuité de nos existences. Oui et alors ? Puisque l'envie de vivre est impétueuse, tant que nous ne sommes pas serviles de la pensée irrationnelle que la vie a un but, pourquoi s'opposer à la conquête pleine et entière de notre liberté, en d'autres termes de notre bonheur ?

    Je choisis le glaive. Je choisis le bouclier. Je choisis des objectifs. Non pas parce que je pense mon existence comme une fin en soi, mais parce que je l'accepte dans tout ce qu'elle a de vain et d'inutile, je choisis de la prendre en outil pour ne pas subir mes crises existentielles mais les utiliser à d'autres fin, comme quitter ce constant état de survit qui me prends l'âme et vole toutes envies. 

    Je ne suis plus Alexandra et vous lisez mon blog,

    Bye


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